Version complète et interactive publiée sur le site de la coopérative de formation et de recherche La Boussole
Au cours des dernières décennies, nous avons assisté à une massification des usages numériques et à l’explosion du taux d’équipement dans ce domaine. Ordinateur, tablette, téléphone portable, montre connectée, gps, etc., tout le monde ou presque se sert aujourd’hui quotidiennement d’un ou plusieurs de ces appareils pour son travail ou ses loisirs. Ces équipements et pratiques ont d’importantes conséquences en termes d’écologie. Il serait évidemment mensonger de prétendre construire un discours global qui pourrait s’appliquer à la multitude des situations et pratiques existantes : il est indispensable de commencer par défricher et distinguer les différents usages. C’est ce que nous allons tenter de faire ensemble, en commençant par réfléchir à certaines représentations largement répandues sur les pollutions générées ou évitées par les outils numériques.
Actuellement, environ 10 % de toute l’électricité produite au niveau mondial est consommée pour des usages numériques, de la fabrication des outils à l’utilisation des services en ligne. Ce chiffre se répartit approximativement de cette manière : 30 % pour les data centers, 30 % pour les équipements des utilisateur·rice·s, 40 % pour les réseaux de télécommunications. Les prévisions indiquent que cette consommation devrait globalement continuer à augmenter d’environ 7 % chaque année. À lui seul, ce secteur émet entre 2 et 5 % des gaz à effet de serre, soit plus que le transport aérien2.
Avec le temps, ces chiffres ont été largement débattus, contredits, recalculés, confirmés… Une idée couramment diffusée et entretenue par les entreprises du secteur du numérique est que ces dépenses d’énergies viendraient remplacer des usages autrement plus polluants. L’équilibre final leur serait favorable et justifierait les pollutions produites par leurs outils et services. Par exemple, la généralisation de la visio-conférence aurait permis d’éviter de coûteux déplacements physiques : pour obtenir un calcul juste, il faudrait donc soustraire du coût de ces outils la pollution économisée sur les déplacements. En réalité, les études montrent que, loin de remplacer les déplacements physiques, les outils de communication à distance les encouragent. L’augmentation des communications augmente les raisons et opportunités de déplacement : finalement, au lieu de s’annuler, ces 2 secteurs se nourrissent mutuellement. Ce phénomène n’est pas nouveau, et les historien·ne·s de la technique l’ont déjà mis en lumière au fil du temps et des précédents changements techniques majeurs1.
Avec un raisonnement similaire, la lecture sur écran serait meilleure pour l’environnement, puisqu’elle permettrait de réduire le nombre d’impressions, et par conséquent l’utilisation de papier et d’encre. Là aussi, la réalité peut sembler contre-intuitive : d’après une étude de l’ADEME3, la réalité dépend de la taille du document et de la durée de la lecture, et donc de l’utilisation des appareils. Au-delà d’environ 3 minutes de lecture par page, l’empreinte écologique de l’impression du document (en recto-verso, noir et blanc et avec 2 pages par feuille) devient inférieure à celle de sa lecture sur un écran. Idem si l’on compare les factures imprimées ou numérisées : tout dépend des usages (nombre et temps de consultation, partage et reproduction, durée de conservation…)4. Pour certains services, comme l’échange de données dématérialisées – par exemple pour déclarer ses impôts – l’avantage revient nettement aux outils numériques, en raison de la quantité de papier économisée1. Pour d’autres, la dépense énergétique prend des allures de gouffre : l’énergie utilisée pour une seule transaction en bitcoins permettrait par exemple d’en effectuer près de 5 000 avec une carte bleue classique5. D’après les estimations basses, le fonctionnement de Bitcoin nécessiterait à lui seul une quantité d’énergie supérieure à celle produite par 3 réacteurs nucléaires !6
Nous le voyons, le même usage peut avoir un résultat complètement différent, selon qu’il remplace, complète ou s’ajoute à d’autres pratiques, et des usages apparemment proches sont en réalité bien différents. Complexifions encore un peu le raisonnement ! Ces chiffres sont des moyennes : ils varient grandement en fonction de votre équipement, de sa consommation, de son origine, de la durée pendant laquelle vous l’aurez utilisé avant de le recycler, ou pas, etc. Au-delà de la question de la consommation, celle de la durée de vie des appareils est déterminante dans l’équation, puisque 80 % de leur empreinte écologique est liée à leur fabrication1. En moyenne, nous remplaçons nos téléphones portables tous les 2 ans, alors qu’ils fonctionnent encore dans près de 60 % des cas7. Ainsi, prendre soin de nos équipements, tenter de les réparer et les recycler lorsque ce n’est plus possible, choisir des fabricants qui ne nous imposent pas une obsolescence prématurée, permet de réduire notre empreinte sans modifier nos usages quotidiens.
Pour conclure et illustrer le recoupement de différentes problématiques, abordons à présent le poids de la publicité dans les empreintes environnementales de nos navigations web quotidiennes.
D’après les résultats d’une expérience récemment publiée sur le site pixellibre.net, lorsque vous visitez une page du site BFMTV.com, la moitié des données échangées vers ou depuis votre ordinateur ne servent qu’à récolter des informations sur vous et personnaliser les publicités que vous verrez s’afficher. Toujours d’après cette expérience, votre simple visite activera près de 390 liens directs et indirects, toujours afin de récolter des données sur vous et d’afficher de la publicité sur votre écran. Là aussi, le même usage – la visite de ce site internet –, selon que vous bloquiez ou non la publicité sur votre navigateur web – par exemple grâce à l’extension uBLock –, aura un coût environnemental qui variera grandement.
Par extension, nous voyons apparaître ici la nécessité de poursuivre la réflexion à une échelle plus générale et, surtout, d’interroger les modèles économiques des entreprises du secteur du numérique, notamment l’obsolescence programmée ou le couple publicité/surveillance. Cette nouvelle bifurcation illustre toute l’étendue du sujet des conséquences écologiques de l’informatique, de l’extraction des minerais rares, à l’éventuel recyclage, en passant par les différences d’usages entre pays et dans le temps ou le racisme environnemental9. Afin d’éviter les fausses évidences et les injonctions et de pouvoir faire des choix éclairés, il est donc nécessaire de mener un vrai travail de renseignement et de comparaison, usages par usages et outil par outil. La bonne nouvelle est que les alternatives et les pistes de solutions existent, du simple blocage des publicité à la sobriété volontaire : réfléchissons-y et outillons-nous ensemble !
Sources
- DOBRÉ Michelle, FLIPO Fabrice, MICHOT Marion, La face cachée du numérique – L’impact environnemental des nouvelles technologies, L’Échappée, 2013 ▲
- BERTHOUD Françoise, Numérique et écologie, Annales des Mines – Responsabilité et environnement, 2017 ▲
- ADEME, Analyse comparée des impacts environnementaux de la communication par voie électronique, 2011 ▲
- BERTHOUD Françoise, Papier ou support numérique, quel est le bon choix ?, EcoInfo/CNRS, 2013 ▲
- MALMO Christopher, Le Bitcoin n’est toujours pas viable, Motherboard, 9 mars 2017 ▲
- Bitcoins.fr, Quelle est la consommation électrique du réseau Bitcoin ?, version de novembre 2017 ▲
- ADEME, Étude sur la durée de vie des équipements électriques et électroniques, 2012 ▲
- Numendil, La publicité en ligne : c’est quoi, la publicité ? / qu’est-ce qui est collecté ? / les problèmes liés à la publicité, 2017 ▲
- KEUCHEYAN Razmig, La nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique, Zones, 2014 ▲